Qualif en Solo 1/5 – De Brest à Ouessant
Je vais vous raconter une aventure formidable, ma navigation sur un parcours de 1000 milles pendant 7 jours en solitaire en octobre 2018.
Je ne me serais jamais lancé de mon propre chef dans ce défi fou, mais à cause ou grâce à la classe Mini, je m’y suis essayé, et j’ai même réussi ! En effet, la classe Mini qui encadre ma pratique de la course au large, requiert que les coureurs souhaitant faire la Mini Transat réussissent cette épreuve appelée « qualif en solo ». Je ne leur en veux pas car, comme vous allez le voir, même si ma navigation ne fut pas que du plaisir, cela m’a donné l’occasion de vivre une semaine hors norme, hors du temps, hors de tout en fait ! J’ai pu découvrir un nouvel aspect de la voile. Une facette aventurière de ce sport que je n’avais pas encore explorée. Je me suis retrouvé dans des conditions extrêmes et surtout, en solitaire. Ce fut une épreuve que je me suis promis, pendant les plus durs moments, de ne jamais recommencer. Pourtant, maintenant que j’ai bouclé le parcours, j’en garde un super souvenir et l’envie de regoûter à cette solitude.
Pour placer un peu le contexte de l’épreuve, je vais vous définir en quelques phrases ce qu’est la qualif en solo et ce qu’il en ait demandé. La course consiste à contourner trois marques de parcours précisées dans les textes de la classe : la bouée Conningbeg en Irlande, le plateau de Rochebonne et l’île de Ré (cf. carte ci-dessous). On débute et on termine le parcours depuis son port d’attache – donc Brest pour moi. On peut tenter le parcours dans le sens que l’on souhaite, mais le plus souvent on commence par l’Irlande où l’on a le plus de chance de rencontrer des conditions difficiles.
J’avais déjà tenté l’aventure début septembre 2018, en commençant par la partie Sud du parcours. Lors de ma remontée, la météo ne se prêtait pas à faire la partie irlandaise et j’avais dû abandonner la tentative.
À l’issue de ce parcours nous devons fournir un dossier pour justifier d’avoir effectué notre qualification. Voici un extrait des textes de la classe précisant les éléments devant le constituer.
Comme vous pouvez le voir, on doit un peu bosser en mer. Il faut remplir son livre de bord toutes les 3h, faire ses points sur des cartes et même certains au sextant, utiliser la radio BLU et faire des photos. Le sextant est un vieil instrument de navigation permettant de mesurer l’angle entre le soleil et l’horizon. En fonction de l’heure de la mesure, on calcule notre position géographique.
Mais je ne vais pas me plaindre d’avoir eu de quoi m’occuper pendant ma navigation ! Il faut avouer qu’après plusieurs jours en solitaire, même un petit point au sextant c’est toujours divertissant. Et si certains connaissent la radio BLU, vous comprendrez la satisfaction de réussir à comprendre le bulletin météo.
Extrait d’un bulletin météo BLU :
Vous remarquerez que la compréhension du bulletin s’améliore au cours de l’extrait grâce à quelques réglages.
Plus sérieusement, ces exercices nous forment et attestent de notre capacité à naviguer sans électronique. Si une panne de notre système GPS survient, nous pouvons ainsi nous localiser grâce à nos positions précédentes, notre vitesse, le cap et même utiliser le fameux sextant.
Voilà pour les conditions de l’aventure, et à présent laissez-moi vous raconter mon périple avec ses moments jouissifs, ridicules ou même dangereux... Le récit sera réparti en plusieurs articles pour rattraper les lecteurs qui auraient jeté l’éponge avec un seul. C’est le moment de se caller confortablement et de prendre un petit café.
J’ai hissé les voiles le jeudi 27 septembre au milieu de la journée par un vent très faible et un grand soleil. J’avais calé mon heure de départ en fonction du courant de marée pour m’extraire de la rade plus facilement. Grâce à ce petit nœud de vitesse en ma faveur, j’ai pu me retrouver face au Phare du Petit Minou à 15h où j’en ai profité pour prendre mon premier repas en mer.
Mon bateau s’est arrêté là, faute de vent. La situation était ridicule. J’étais hyper prêt pour naviguer pendant 1000 milles et dès le deuxième j’étais bloqué en face de ce phare qui marque l’entrée du Goulet de Brest. Il y avait aussi un petit croiseur qui sortait de la rade, deux hommes étaient à bord et s’échangeaient la barre. Comme moi, ils avançaient dans la pétole tant bien que mal. Soudain, l’un d’eux a mis le moteur en route et ils m’ont planté là. J’avais pris mon petit moteur deux temps mais à quoi bon le faire tourner. Son réservoir ne tiendrait pas plus d’un mille. Le Johnson ne sert pas à faire avancer le bateau mais à l’empêcher de se prendre la digue en rentrant au port. Il était juste là en cas d’urgence pour des arrivées en ports inconnus ou pour se déhaler des cailloux dans un cas à la Alex Thomson. Je n’avais pas d’autre choix que de prendre mon mal en patience et attendre un petit souffle de vent dans mes voiles.
A priori, le reste de la météo devait être propice pour réaliser vite le parcours et sans violent coup de vent. Dans la nuit, il était prévu un vent forcissant au Nord Est que je devrais premièrement contrer pour aller en Irlande mais qui m’aiderait ensuite pour rejoindre le plateau de Rochebonne (au large de l’ile de Ré).
À 17h, je dépassais la pointe St Mathieu et postais cette photo sur ma page Facebook pour annoncer mon départ.
Le courant favorable de la marée m’a facilité la traversée du chenal du Four. Après quelques bords de près, je me suis trouvé à la hauteur de Ouessant. Le bateau était lent et c’était assez ennuyant. J’étais assez tourmenté, je savais que j’avais commencé une longue et dure épreuve et pourtant tout était étrangement calme et reposant. Je m’attendais à ce que ça se corse tôt ou tard. Pour me vider la tête, j’ai commencé à écouter des podcasts de l’émission « Affaires sensibles ».
Au coucher du soleil, je n’étais qu’à la sortie du chenal du Four avec le phare du Stiff sur mon bâbord.
Ce soir-là, je notai dans mon livre de bord :
« 21h : Sortie du chenal du Four. Le vent arrive petit à petit. Il est prévu forcissant jusqu’à 20 nœuds. On est au près et prêt à prendre des ris. On s’enfonce dans la nuit froide. »